Photo Tonio Modio

Citizen Jazz / Janvier 2011

Le Karawane habité de Frédéric Jouanlong


En concert solo à Billère, près de Pau, le chanteur ressuscite « Karawane », texte phonétique d’Hugo Ball. Un travail de poésie sonore et d’improvisation vocale à la forte puissance d’évocation. L’Ocelle Mare était également au programme de ce 10 décembre 2010.

 

Karawane, poème dada écrit en 1917 par Hugo Ball, gesticule encore. L’homme qui redonne vie à ce texte purement phonétique s’appelle Frédéric Jouanlong. Chanteur de la formation avant-rock Kourgane, également improvisateur, vocaliste des profondeurs de l’âme, on l’a déjà entendu sur scène avec les saxophonistes Daunik Lazro ou Akosh S., entrevu aussi au côté de Phil Minton, avec lequel résonne une évidente filiation dans la manière de jouer de la voix.

10 décembre 2010 : dans un minuscule théâtre, au sein des locaux de l’association L’Agora à Billère, Frédéric Jouanlong, seul en scène, dit Karawane. Ou plutôt, dans le contre-jour d’un unique projecteur, il l’éructe, le siffle et le chante, le presse comme une matière visqueuse, le malaxe avant de le recracher en averses sonores d’une intensité à faire mollir les vents des 40èmes Rugissants. Le texte d’Hugo Ball n’est pas récité à la lettre. Il sert de rampe de lancement. C’est le carburant qui allume la combustion de la psyché dans sa chambre d’écho, la voix.

 

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Frédéric Jouanlong : exercices de langue abstraite - photo Tonio Modio

L’irruption de la poésie phonétique remonte au début du XXè siècle, chez les futuristes et les dadaïstes. Karawane est joué pour la première fois par Hugo Ball au Cabaret Voltaire de Zurich en 1915. Ursonate, de Kurt Schwitters, composée de 1921 à 1932, reste l’exemple le plus abouti de cette poésie phonétique, et l’un des plus connus. C’est en 1958 seulement qu’est forgé l’expression « poésie sonore », pour qualifier l’œuvre d’Henri Chopin, qui utilise alors les ressources du magnétophone.

Aussi simple soit-il, l’outil technologique change la donne, sculpte de nouveaux reliefs. En l’occurrence, la performance de Jouanlong tient dans un très simple looper, petite machine qui permet d’enregistrer la voix en direct et de la rediffuser immédiatement en séquences mises en boucle. Ainsi se constitue une matière sonore composée de courts motifs mélodiques, de notes tenues, de nappes qui créent un accompagnement autoproduit dans l’instant et sur lequel se développe alors la performance vocale proprement dite. Karawane commence ainsi par un sifflement du chanteur transformé en drone électrique. Par-dessus s’érige un théâtre vocal où apparaissent et disparaissent, se croisent et se multiplient les chants, les phrasés. L’acmé de la performance se situe probablement au moment où l’accumulation judicieuse des voix plonge les auditeurs au cœur d’un tableau sonore d’une éprouvante richesse, évoquant une foule électrifiée, soulevée par la puissance d’un discours qu’on imagine révolutionnaire ou fasciste.

 

Karawane est un texte onomatopéique. A priori, il n’énonce rien. Le  chanteur, cependant, lui donne sens, nous dit quelque chose. Quelque chose qui a à voir avec la face cachée de l’âme que seule la musique peut dévoiler, où seule la musique nous fait poser le doigt de nos émotions. Ce Karawane est traversé de gémissements et d’éructations, de susurrements et d’envolées lyriques. Venues des gouffres, les glossolalies de Frédéric Jouanlong se dressent en équilibre sur la ligne ténue qui passe entre folie et mysticisme.

Ce solo évite le piège de la surenchère. Bien que d’une indéniable densité, il respire, s’offre de salutaires ruptures au tranchant de l’humour. Jouanlong finit son concert allongé sur le dos, tenant au-dessus de lui une lampe au néon qu’il fait glisser le long de son corps, à la manière d’un scanner. Cette lumière n’éclaire pas ce qu’il y a à l’intérieur. On vient de l’entendre.

 

par Vincent Faugère // Publié le 24 janvier 2011

Photo Tonio Modio

Karawane a déjà été joué :

  • au Centre Culturel Ernest Lluch de San Sébastien 
  • au Théâtre Garonne à Toulouse dans le cadre de son Festival "In Extremis"
  • à la Maison de la Poésie de Paris dans le cadre de son "Festival de la Poésie sonore" 
  • au petit Théâtre de l'Agora ( Billère - 64 )
  • à la Fonderie ( le Mans - Théâtre du Radeau )
  • pour l'Errobiko Festibala 2011 / Itxassou
  • pour le Ertz Festival 2011 / Bera et Hasparren
  • au Localypso / Pau ( ATRDR 2011 )
  • à la Centrifugeuse / Pau ( Aci e adara 2012 )
  • pour le Festival "Grain de la voix" ( Ecrire un mouvement/Centrifugeuse ) / Pau
  • à France Culture ( Radio France - Paris ) / extraits / pour la "Vignette" de Aude Lavignes.
  • au Théâtre des Bouffes du Nord ( Paris ) dans le cadre de son Festival "La voix est libre " édition 2012
  • pour le Festival " à voix hautes " édition 2012 / Aout / Bagnères de Bigorre / Einstein on the beach
  • pour le Festival " Musiques Libres "à Besançon / Octobre 2013 / Prog Aspro Impro
  • pour les 50 ans de France Culture au palais de Tokyo à Paris dans le cadre des vignettes de Aude Lavigne / Septembre 2013
  • aux Ecuries de Baroja à Anglet / Décembre 2013 / Prog Microscope
  • pour le Festival 30/30 / Bordeaux-Bouscat / Janvier 2016
  • A l'ESAP de Pau / 2019
  • A la Ferronnerie à Jurançon / 2019
  • A l'Etabli à Mirepeix / 2020

 

Retour sur le Festival 30/30 ( Janvier 2016 ) 

Karawane : Frédéric Jouanlong, livre un concert vocalisé dont la poésie sonore dadaïste onomatopéïque et protéiforme constitue l’armature d’un arsenal propre à flinguer la raison raisonnable. Riant, criant, pleurant, gémissant, éructant, rugissant, susurrant, les effets sonores des cris (ceux d’Antonin Artaud ?) viennent se superposer en boucle au poème dada écrit en 1917 par Hugo Ball, à la source de l’inspiration. La semi-obscurité, un projecteur projetant seul son éclat éblouissant, rajoute à l’atmosphère méphistophélique dans laquelle nous sommes immergés, happés pieds et poings liés, pour explorer les méandres de l’âme, lieu des tourments et des élucubrations désarticulées de notre psyché. Dadaïste… comme le Cabinet Voltaire de Zurich. 

 

( Yves Kafka / Inferno / 2 Février 2016 )

Dailymotion - KARAWANE - une vidéo Art et Création

22 min - 29 janv. 2011
Karawane de Hugo Ball.interprétation : Frédéric Jouanlongcapté au Centre Ernest LLuch à San SebastianImages Antoine Rodero, son ...
www.dailymotion.com/video/xgt2vm_karawane_creation

Pour sa troisième édition, le Festival Poésie sonore prend une ampleur nouvelle. Son action se déploie dans plusieurs lieux de la région Île-de-France, la Maison de la Poésie de Guyancourt à Saint-Quentin-en-Yvelines, la Biennale Internationale des Poètes en Val-de-Marne, croisement renouvelé pour la troisième fois avec le festival Extension organisé par la Muse en Circuit.

La réunion de ces partenaires renforce également la vocation internationale du festival, dimension fondamentale qui doit lui permettre de rejoindre le concert des grands festivals de poésie organisés dans le monde entier. Les performances et les poètes viendront en mai prochain de France, mais aussi d'Allemagne, de Belgique, de Suisse, du Québec, des Etats-Unis.

Le Festival Poésie sonore entend également échanger avec ses homologues nationaux, ainsi à partir de cette année avec le festival de Lodève Les Voix de la Méditerranée. Sous la forme d'une soirée annonçant l'édition estivale du festival de Lodève, avec notamment un récital de Fernando Arrabal.

Le Festival Poésie sonore poursuit sa défense de la poésie dite haute, de la poésie d'action, de la poésie orale, de la poésie sonore.
En convoquant les figures internationales, Anne Waldman, la Beat Generation et William Carlos Williams, Hugo Ball, Peter Handke, Heiner Müller, Fernando Arrabal, les nouvelles générations venues de l'étranger, Simon Dumas, Erick d'Orion, D. Kimm pour le Québec, Nawal Al Ali pour la Jordanie.
En faisant entendre les poètes français contemporains, Liliane Giraudon, Philippe Beck, Gwenaëlle Stubbe, Sophie Loizeau, Christophe Tarkos, Jean-Luc Raharimanana, Fred Griot.
En maintenant le lien fort entre poésie d'aujourd'hui et musique contemporaine, avec Wilfried Wendling, Luis Naón, Tao Ravao.
En affirmant les croisements de la poésie avec les arts numérique, cinématographique, radiophonique, concours international Luc Ferrari, concours de vidéo-poèmes, nuit des performeurs du Québec.
En renforçant la collaboration entre poètes et interprètes, quils soient acteurs, musiciens ou chanteurs. Seront notamment présentés les travaux de Frédéric Jouanlong sur Hugo Ball, de Liliane Giraudon et Robert Cantarella, de Bérangère Bonvoisin et Michèle Goddet sur William Carlos Williams, de Félicité Chaton et Sophie Lagier sur Christophe Tarkos.

Claude Guerre
directeur de la Maison de la Poésie

Mouvement N°59 avril-juin 2011

 

Bouge ta langue

 

Christophe Tarkos, mort en 2004, était un poète "qui sauve sa langue,

en la faisant vivre, en la faisant bouger".

Programmé le 26 mai à la Maison de la poésie dans le cadre

du festival de Poésie sonore, Le Baroque du poète s'insère dans un printemps riche en sonorités langagières, de la Biennale internationale du Val-de Marne

( la BIPVAL pour les initiés ) au théâtre de l'Odéon.

Les mots chantent et la vidéo donne de la voix.

La Maison de poésie revient à l'imagisme, propose de (re)découvrir le Hörspiel, "genre acoustique de contenu déterminé" selon Mauricio Kagel, et donne les pleins pouvoir à Frédéric Jouanlong pour performer le texte phonétique d'Hugo Ball, Karawane ( 1917 ).

En amont ( et en annonce ) du festival, le projet Arkhéion de Wilfried Wending associe cinq jeunes poètes à un quatuor à cordes. C.I.

Mouvement N°59 / Karawane, de Frédéric Jouanlong. Photo : Tonio Modio.
Mouvement N°59 / Karawane, de Frédéric Jouanlong. Photo : Tonio Modio.